HISTOIRE DE SAINT-MARTIN – (Première partie)

Histoire de Saint-Martin – (Première partie)

Un texte de Claude Lavoie

Préambule

Le collègue retraité, Pierre René de Cotret, me signale qu’il publie mon soixantième article dans l’Envol. Le temps passe tellement vite. Il y a quinze ans, j’acceptais l’offre de feu Pierre Viau d’écrire une chronique historique dans le bulletin des retraités de Laval. Je ne regrette pas cette décision, car la recherche et l’écriture constituent des mesures préventives efficaces contre les effets néfastes du vieillissement notamment la concentration. De plus, mes écrits semblent appréciés par un bon nombre de lecteurs. Dernièrement, Richard Lauzon, directeur de la « Caisse Desjardins des employés de Ville de Laval », me soulignait le plaisir qu’il éprouvait à lire ces histoires et celui de sa mère à qui il communiquait le document. Merci à celles et ceux qui m’encouragent à poursuivre mes recherches.

Rappel historique

Si l’île Jésus fut signalée officiellement en 1636, ce n’est qu’en 1702 que fut fondée la première paroisse ; Saint-François-de-Sales. Sous le régime français, une paroisse était à la fois une entité civile et religieuse. Pour être créée, une paroisse devait obtenir l’autorisation de l’intendant et celle de l’évêque. En 1701, la signature du « Traité de la Grande Paix de Montréal» met un terme à la guerre avec les Amérindiens. C’est alors que débute le véritable développement territorial de l’île Jésus laquelle appartenait alors au Séminaire de Québec.

Progressivement les colons s’installent le long de la rive des rivières Jésus (Mille-Îles) et des Prairies et vers 1730, il y a assez de monde pour fonder deux autres paroisses. Cependant, les résidents de Saint-Vincent-de-Paul étaient moins pressés que ceux de Sainte-Rose-de-Lima pour ouvrir leur paroisse. Ils retardèrent l’adoption de la partie religieuse, car ils fréquentaient l’église du Sault-au-Récollet grâce à la traverse Sigouin. Mais c’était plus urgent au nord de l’île Jésus. Ces colons fréquentaient l’église de Terrebonne pour obtenir les services religieux, car la distance à parcourir pour se rendre à l’église de Saint-François-de-Sales était trop longue. Cette dernière se trouvait alors sur la rive de la rivière des Prairies. Comme l’église de Terrebonne était régulièrement inondée, la Fabrique demanda aux censitaires de l’île Jésus de payer la dîme pour assumer leur part du coût des réparations. Ce n’était pas conforme au plan de développement territorial prévu en 1721 par le Conseil du Roi.

 L’intendant Gilles Hocquart et probablement le Vicaire Général créèrent en 1740 la paroisse Sainte-Rose-de-Lima. Puis, en 1743, la paroisse de Saint-Vincent-de-Paul ouvrit ses registres religieux à la suite de l’autorisation de Mgr Pontbriand. À ce moment, le territoire de l’île Jésus se divisait en trois parties. Saint-François-de-Sales comprenait toute la pointe est de l’île. Le reste de l’île était divisé en deux paroisses, sur le sens de sa longueur.

En 1760, la Conquête britannique change beaucoup de choses dans la colonie française, mais le développement territorial de l’île Jésus continue de s’effectuer par les enfants des premiers colons français. La superficie des terres accordées aux colons permet de faire vivre seulement une famille. Aussi, lorsque les fils se marient, ils doivent trouver un autre endroit pour s’installer. Voilà pourquoi les patronymes Labelle, Charbonneau, Archambault, Ouimet et bien d’autres, se retrouvent en grand nombre un peu partout sur l’île Jésus, à Terrebonne, Blainville, Sainte-Thérèse et Saint-Eustache.

À la suite de leur victoire, les Britanniques voulaient assimiler les conquis à leur langue et à leur religion. Cependant la révolte amérindienne menée par Pontiac et le début des troubles dans leurs colonies du Sud, les incite à adopter des mesures plus douces envers les francophones catholiques. Conséquemment, Monseigneur Olivier Briand (1715-1794) entreprend la réorganisation des paroisses catholiques en fonction des besoins grandissants et d’une pénurie de prêtres. Sur l’île Jésus, il fait déménager l’église de Saint-François-de-Sales à son endroit actuel. Également, il souhaite faire reconstruire l’église de Sainte-Rose-de-Lima lourdement endommagée plus à l’ouest. Cependant, plusieurs paroissiens de cet endroit s’opposent farouchement à cette décision de telle sorte que les services religieux sont suspendus pendant douze ans. L’Envol a déjà raconté cette histoire invraisemblable qui donna naissance au sobriquet « Les beignets de Sainte-Rose ». 

C’est à la suite de cette impasse que monseigneur Briand ouvrit la paroisse de Saint-Martin et celle de Saint-Eustache.

Qui est saint Martin dans l’histoire religieuse ?

Les paroisses catholiques sont mises sous le patronage d’un saint ou d’une sainte. Ainsi, la paroisse de Saint-François-de-Sales fut nommée ainsi pour honorer Mgr. François Montmorency de Laval. Saint François de Sales (1567-1622) devint également le saint patron des écrivains et des journalistes. La paroisse voisine fut nommée Saint-Vincent-de-Paul, car Vincent de Paul (1581-1660) était un grand ami de saint François de Sales. Quant à sainte Rose de Lima (1586-1617), il s’agit d’une Péruvienne qui vécut une vie de pénitence qui sans une profonde vie mystique aurait été insupportable. Elle fut canonisée par le pape Clément X le 12 avril 1671 et devint la première sainte des Amériques.

Martin nait en 316, à Savaria, en Pannonie (Hongrie) de parents païens. Il passe sa jeunesse à Pavie, au nord-ouest de l’Italie, endroit où son père, un militaire de l’armée romaine, était positionné. À 15 ans, Martin s’enrôle dans la cavalerie et lors d’une mission à Amiens, en France, il partage la moitié de son manteau avec un pauvre.

C’est en 337 qu’il eut la révélation de la foi qui l’amène à se convertir au christianisme. À 40 ans, il quitte l’armée et se met au service d’Hilaire, le célèbre évêque de Poitiers. En 371, il devient évêque de Tours (ville située à l’ouest de la France, sur les rives de la Loire) et fonde les premières églises rurales de la Gaule. Il décède le 8 novembre 397 à l’âge de 80 ans.

Si le nom de saint Martin jouit d’une grande popularité partout dans le Monde, on connaît très peu l’intéressante histoire de sa vie. Les lecteurs intéressés pourront consulter le site suivant : https://www.communautesaintmartin.org/wp-content/uploads/2016/01/Vita-Martini.pdf

Je vous cite une anecdote sur sa vie : « Un jour, voyant des oiseaux pêcheurs se disputer des poissons, Martin explique à ses disciples que les démons se disputent de la même manière les âmes des chrétiens. Depuis ce moment, ces oiseaux portent le nom de l’évêque ; martins-pêcheurs. »

Plus tard, on attribue son nom à une fête donnée à la fin du cycle agricole annuel et l’usage fit que ce moment devint celui où les censitaires devaient payer leurs cens au seigneur.

Mais le nom de saint Martin est surtout célèbre pour avoir partagé la moitié de son manteau avec un pauvre qui grelottait de froid. Voilà pourquoi je trouve que le nom de ma municipalité et paroisse natale fut bien choisi. Vous lirez dans cette histoire que Saint-Martin coupa plusieurs parties de son territoire pour former les municipalités de Sainte-Dorothée, l’Abord-à-Plouffe, Laval-des-Rapides et Saint-Elzéar ainsi que les paroisses de Saint-Maxime, Sainte-Dorothée. Bon-Pasteur et bien d’autres.

Île Jésus: Les côtes et les emplacements des paroisses.

Le territoire de Saint-Martin avant 1774

En ouvrant la Côte Saint-François en 1721, Côte le Séminaire de Québec amorce le développement des terres situées au centre de l’île Jésus, lesquelles ne possèdent pas d’accès à l’une des deux rivières. Pour se rendre à leur censive, les colons passent sur les terres des autres censitaires. À partir de 1733, on commence à construire des routes pour répondre aux besoins locaux et des seigneuries sises plus au nord dont celle de Terrebonne. Le sentier créé et entretenu par les censitaires de la Côte Saint-François devient le rang Saint-François et plus à l’ouest, la Côte Saint-Martin, le Grand Rang, la rue de l’Église, et plus tard, le boulevard Saint-Martin. Au début des années 1800, un Chemin du Roy permet de faire le tour de l’île Jésus.

Les terres situées au centre de l’île Jésus sont peu attirantes pour les colons, car à cette époque l’agriculture se porte surtout sur la culture du blé, de l’orge et d’autres grains. Le sol de ces terres est moins propice pour ces plantes étant plus sablonneux et pierreux. Quant aux terres marécageuses, elles furent mises en culture lorsque les Britanniques introduisirent la pomme de terre.

Tels mes ancêtres Lavoie, plusieurs propriétaires des terres de Saint-Martin habitaient la Côte St-Laurent sur l’île de Montréal. Ils coupaient les arbres sur leur propriété pour combler leur besoin en chauffage ou à le vendre. On disait à l’époque : une terre en bois debout.

En 1792, le séminaire agrandit la Côte Saint-Élzéar jusqu’à l’ouest de l’actuel boulevard Labelle où un vaste marécage empêchait la continuité du chemin en ligne droite. Celui-ci fut construit à environ 1 kilomètre plus au sud et porta le nom de Chemin du Petit bois aujourd’hui le boulevard Cléroux.

Un petit noyau villageois s’était formé à l’intersection du Grand Rang (Saint-Martin) et de la montée Gagnon. Cette montée faisait partie de l’itinéraire des colons de Sainte-Rose qui se rendaient au moulin du Crochet pour faire moudre leurs grains. Le rectangle dans cette image illustre cet itinéraire.

Carte de 1834

Le rang de l’Équerre rejoignait la montée Saint-Aubin (aujourd’hui, la route qui longe l’autoroute 15, à l’est). Puis le voyageur rejoignait la montée Gagnon (Industriel) jusqu’au Trait-Carré (du Souvenir) qui rejoignait à l’est la montée du Crochet laquelle menait à l’endroit voulu. À l’époque de ma jeunesse, la montée Saint-Aubin était l’endroit où l’on « essayait nos chars » dans un long chemin droit sans intersection. C’était l’époque des « muscle, car », mais revenons à l’histoire de Saint-Martin. Quelques artisans s’étaient installés près de cette intersection et dès 1743, des Récollets se rendaient au centre de l’île Jésus pour célébrer la messe, prêcher et administrer les sacrements aux colons établis près de cet endroit. Pour ces colons, c’était toute une « trotte » pour se rendre à l’église de Saint-Vincent-de-Paul ou à celle de Sainte-Rose-de-Lima. En 1769, les colons bâtirent une chapelle sur la terre de Joseph Jarry, fils de Siméon, emplacement qui serait situé aujourd’hui près de la voie ferrée et le boulevard Saint-Martin.

L’abbé Froment, dans son livre sur Saint-Martin, mentionne en ordre chronologique l’arrivée des colons à Saint-Martin : J.-B. Vilenne dit Bellerose, J. Leblanc, A. Bergeron, G. Monique, J. Cantin, J.-B. Charron, J. Laurin, F. Giroux, J.-B. Roy, J.-B. Monciau, J. Ouimet, F.-J Tassé, L. Plouffe, L.J. Sauriol, J-L. Clermont, P. Saumure, J.-B. Brien               , P. Martin, J. Chartrand, A. Boudrias, J. Taillefer, J. Paquette, J.-B. Corbeil, P. Sigouin, J. Bélanger, J. Champagne, M. St-Aubin, U. Godon, F. Besot,  A. Dagenais, M. Langevin, P. Spérance , F. Barbe, C. Savard, J.-C. Gravel,J. Bigras, C. Hotte

On construisit l’église à mi-chemin entre les limites de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-Eustache. Jean-Baptiste Villeneuve et Antoine Bergeron donnèrent le terrain pour la construction de l’église. Louis Payet fut le premier curé de Saint-Martin. Le nom de Saint-Martin fut probablement attribué à la paroisse pour honorer le principal donateur Antoine Bergeron. Son fils se prénommait Martin.

L’histoire des trois églises de la paroisse de Saint-Martin

Première église

Le 15 avril 1782, la Fabrique signe une entente avec le maître-maçon Augustin Grégoire pour la construction de l’église. Le contrat prévoit que la bâtisse mesurera 106 pieds sur 46 et sera en pierre de taille. Les travaux de construction débutent le 11 juin 1782 et se terminent le 21 septembre 1785.  Puis on meuble et orne convenablement l’église en faisant appel à des artistes tel Philippe Liébert.

 

La population de Saint-Martin continue d’augmenter et vers 1800, l’église devient trop petite. Michel Brunet, troisième curé, souhaite agrandir le bâtiment en y ajoutant un portail et deux tours surmontées de clochers. Les paroissiens s’opposent à ce projet en alléguant que la démolition de la façade affaiblirait les murs. Mais le projet du curé Brunet se réalise tout de même en 1823. Les syndics concluent des marchés avec l’architecte René Saint-James de Saint-Vincent-de-Paul et le maître-maçon François Labelle de Sainte-Rose. Tel qu’on le voit sur une aquarelle d’Henry Wentworth Acland, le résultat est magnifique.

1re église

Mais la suite des événements donne raison aux opposants. Dès l’année suivante, le portail se fissure de haut en bas. On a beau colmater les fentes, mais la situation se dégrade d’année en année. En 1867, l’ouverture atteint trois pouces dans sa partie supérieure, occasionnant d’importantes infiltrations d’eau et de glace. À l’intérieur, les jubés menacent de s’écrouler. Un rapport, rédigé en 1864 par les entrepreneurs Célestin Labelle et François Dutrisac, conclut qu’il est impossible de réparer la façade, « attendu que les clefs des châssis sont descendues de plusieurs pouces et prêts à tomber ». Dans son évaluation réalisée l’année suivante, Victor Bourgeau signale l’existence de plusieurs fissures entre la tour ouest et la façade. On doit donc construire une autre église.

Deuxième église

À l’automne 1865, la décision de reconstruire l’église à l’arrière de la première est prise. Les paroissiens se querellent quelque peu sur la grosseur de l’église, mais le litige s’estompe rapidement lorsque Mgr. Bourget décide d’amputer la partie ouest du territoire de Saint-Martin pour créer la paroisse de Sainte-Dorothée.  Le 19 juillet 1869, on entreprend les travaux financés par les contributions volontaires des paroissiens. Victor Bourgeau , l’architecte du projet, utilise le concept de la tour-clocher en saillie, En forme de croix latine, la future église comprendra deux courts transepts dans lesquels seront aménagés deux autels latéraux. Bourgeau prévoit un budget de 23 000 dollars, mais à la fin, les paroissiens déboursent plus de 55 500 dollars. L’inauguration de la nouvelle église a lieu le jour de Noël 1874. L’ancienne église est démolie au cours de l’année suivante pour faire place à un vaste stationnement dans lequel se tient un marché public hebdomadaire. Les cultivateurs des environs venaient y offrir leurs produits.

En 1882, le curé Maxime Leblanc fait construire un nouveau presbytère par le maître entrepreneur Odille Lafleur. Une fois l’ancien presbytère démoli, le curé Leblanc plante plusieurs arbres qui ornent aujourd’hui un parc magnifique. En 1914, les paroissiens font construire le magnifique calvaire que l’on voit immédiatement en entrant dans le vaste stationnement de l’église.

Le 19 mai 1942, la foudre frappe le clocher de l’église et il s’enflamme. À l’époque, il n’était pas possible d’arroser un incendie à cette hauteur vu la difficulté d’y amener l’eau avec des boyaux d’arrosage. On peut imaginer l’émoi que cette nouvelle provoqua dans le village, car trois heures s’écoulèrent avant que le feu n’atteigne la toiture. Pendant ce temps, les paroissiens sortirent de l’église les œuvres d’art, le mobilier liturgique, les statues, les bannières et les vêtements sacerdotaux.

2e église
Église en ruines

 

Ces objets furent entreposés un peu partout et ce n’est qu’en 2004 qu’ils furent regroupés lors d’une exposition baptisée Trésors de Saint-Martin. Au début de l’incendie, un monsieur Lagacé offrit de dynamiter le clocher permettant ainsi de sauver l’église. Malheureusement, le curé de l’époque refusa cette option en disant : « On ne dynamite pas la maison de Dieu ».  L’incendie se propagea à toute la bâtisse et ne laissa que des ruines comme le montre cette photo. Pendant l’incendie, on arrosait le presbytère pour l’épargner du feu. C’est mon oncle Paul-Émile Lavoie, un excellent plombier, qui assurait le bon fonctionnement de la pompe à eau du presbytère.

L’église étant hors d’usage, le noviciat de Pères blancs, bâti en 1936, servit pour dispenser un bon nombre de services religieux. On voit ici la photo de mon grand-cousin René Lavoie et Marie-Laure Beaumont à leur sortie du noviciat par suite de la cérémonie de leur mariage, le 5 septembre 1942. Le 17 novembre 1942, la Fabrique fit aménager le sous-sol de l’église incendiée pour dispenser quelques services religieux. On utilisa également la chapelle du couvent des religieuses de Sainte-Croix pour des cérémonies tel le baptême des nouveau-nés.

Le 31 mai 1944, on inaugure la Grotte dédiée à la Vierge de Lourdes. Ce monument religieux qui existe encore près du CLSC Norman-Béthune fut construit grâce aux dons et aux travaux effectués par de nombreux bénévoles, dont mon grand-père Didyme Lavoie.

La Grotte dédiée à la Vierge de Lourdes.

 

Troisième église  

 

En 1949, débute la construction de la nouvelle église. Les architectes Duplessis et Labelle conservèrent dans son apparence l’esprit de l’église précédente alors que l’intérieur est marqué par l’influence de Dom Bellot, bénédictin français, architecte de plusieurs églises du Québec et de l’abbaye Saint-Benoît-du-Lac. On utilise les murs de l’église précédente, dont la pierre de taille provenait de la carrière de Michel Bigras. La flèche du clocher, en cuivre, s’élève à plus de 35,4 mètres du sol et est couronnée d’une croix en métal forgé, surmontée d’un coq girouette martelé par mon grand-père Didyme Lavoie, un ferblantier.

 

La suite en mars 2024

La 3e église