SAINT-FRANÇOIS-DE-SALES (deuxième partie)

SAINT-FRANÇOIS-DE-SALES (deuxième partie)

Un texte de Claude Lavoie

Il m’arrive régulièrement de rencontrer des retraités.es qui me soulignent leur lecture assidue de l’histoire des anciennes municipalités de l’île Jésus. Dernièrement, avec le policier retraité Daniel Pelletier , nous avons longuement échangé sur des faits survenus il y a quelques décennies; un véritable plaisir.  Je joins ici une copie de sa photo prise au début de sa carrière. Merci à celles et à ceux qui prennent le temps de m’encourager à poursuivre mes recherches.

En juin dernier, vous avez lu dans l’Envol la première partie de l’histoire de Saint-François-de-Sales. Nommée en l’honneur de monseigneur François Montmorency-de-Laval, cette paroisse devint en 1721, le premier territoire civil de l’île Jésus. Cependant, depuis 1702, on enregistrait les baptêmes, les mariages et les décès survenus à cet endroit. À la suite de la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques, les paroisses catholiques devinrent des municipalités. Je reprends l’histoire de Saint-François-de-Sales à ce moment. En 1851, il existait à cet endroit 38 maisons de pierres et 99 construites en bois.

1855 : Acte des municipalités et des chemins

En septembre 1759, la victoire des Britanniques sur les plaines d’Abraham fait passer la ville de Québec sous la férule britannique. Montréal capitule l’année suivante et un régime militaire est établi, en attendant l’issue des négociations entre les pays européens qui s’affrontent dans la « Guerre de sept ans » (1756-1763). En février 1763, par le traité de Paris, la France cède le Canada à l’Angleterre. La « Proclamation Royale » organise politiquement l’immense territoire acquis par le roi George III et James Murray (1721-1794) devient le premier gouverneur de la province de Québec. Les lois anglaises, civiles et criminelles se substituent au droit français. L’imposition du serment du Test aux employés de l’État écarte les citoyens catholiques de ces emplois. Celui qui prêtait ce serment déclarait par écrit qu’il ne reconnaissait pas l’autorité du pape et ne croyait à la transsubstantiation, dogme catholique rejeté par la religion anglicane. Il s’agit du changement de la substance du pain et du vin opéré au cours de la messe, à l’eucharistie, par la consécration en la substance du corps et du sang de Jésus-Christ (Note : ne subsistent du pain et du vin que les apparences).

Cependant, la révolte amérindienne menée par Pontiac (1714-1769) mobilise les tribus de la région des Grands Lacs contre les Britanniques. C’est également le début des contestations dans les colonies anglaises du sud qui conduisent au Boston Tea Party, en 1773. Les Britanniques, ne pouvant combattre sur tous les fronts, décident de réduire leurs manœuvres d’assimilation des conquis à leur langue, à leur religion et à leurs lois. Ainsi, l’Acte de Québec de 1774 rétablit le droit civil français et autorise la perception de la dîme, ralliant ainsi le clergé catholique et les seigneurs francophones demeurés au pays. Cependant, les Britanniques, notamment les Écossais, accaparent le pouvoir économique et politique de telle sorte que les Francophones subissent diverses formes d’iniquités et leur laisse croire : « qu’ils sont nés pour un petit pain ». Un mouvement de résistance prend forme et on connaît assez bien la triste histoire des Patriotes.

Lord Durham

À la suite des rébellions de 1837 et de 1838, les autorités britanniques envoient un homme de confiance enquêter sur ces événements. John George Lambton, appelé Lord Durham, conclut que l’Acte constitutionnel de 1791 a mené aux rébellions et qu’il faut apporter des changements constitutionnels. Il critique l’inefficacité et la corruption de l’administration coloniale et mentionne que le gouverneur et son entourage dirigent sans avoir de comptes à rendre à la population. Il recommande l’implantation d’un régime municipal qui permet davantage de répondre aux besoins locaux des citoyens. C’est ainsi qu’entre en vigueur, en 1855, l’Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada. C’est le début de la vie politique municipale au Québec et chacune des paroisses doit élire un maire.

À Saint-François-de-Sales, c’est Jean-Baptiste Persiller-dit-Lachapelle (1809-1886) qui devient le premier maire de l’endroit.  Cet époux de Louise Gravel (1814-1862) cultive la terre du cadastre 15 qui 

fait face à la rivière des Prairies. Il s’agit de l’un des membres de cette célèbre famille montréalaise qui a construit le pont Lachapelle en 1836. On ne sait pas beaucoup de choses sur ce premier maire et il semble que les archives de cette époque sont disparues. La tradition d’élire les maires et les conseillers pour une période de quatre ans n’est pas très ancienne. Au début du régime municipal, les mandats ne duraient qu’un an. Ils furent portés à deux ans en 1871, puis à trois ans en 1944. Enfin, la durée actuelle des mandats fut établie en 1968.

Au début, seuls les hommes propriétaires pouvaient voter. Ils devaient avoir au moins un revenu annuel de 300 $. Voici les maires de Saint-François-de-Sales entre 1888 et 1919 : 1888 Louis-Didyme Masson; 1890 Charles Meunier ; 1891 Olympe Vézina ; 1893 Pacifique Vézina ; 1895 Adolphe Ouimet ; 1898 Désiré Fortin ; 1899 Clovis Gascon ; 1902 Désiré Fortin ; 1903 Clovis Gascon ; 1906 Julien Charbonneau ; 1907 Clovis Gascon ; 1908 Ernest Therrien ; 1909 Léandre Forget ; 1910 Charles Charbonneau ; 1915 Léandre Forget ; 1916 Joseph Masson.

Deux noyaux villageois

À Saint-François-de-Sales, un premier noyau villageois existait autour de l’intersection du boul. Lévesque et de la montée du Moulin. Tout près, l’île du Moulin accueillit quatre moulins. Le premier fut construit en 1706, mais il fut rasé par un incendie en 1709. Un deuxième fut construit en 1716, mais la force de la crue des eaux de 1723 l’endommage sévèrement.
 
En 1729, on en construit un troisième et ce dernier fonctionne jusqu’en 1789 avec des interruptions causées par des dommages attribués à la crue des eaux. Le quatrième est érigé en 1794 et il maintient ses opérations jusqu’en 1900. Le moulin agissait comme lieu de rassemblement, car les colons devaient s’y rendre pour faire moudre leurs grains. À cette occasion, ils apprenaient les nouvelles du moment. Les marchands et les artisans s’installaient généralement près de cet endroit pour établir leur commerce.
Ruines du Moulin

Un deuxième noyau villageois existait près de Terrebonne. On sait qu’en 1715, Louis Lepage de Sainte-Claire (1690-1762) fut le premier curé permanent de Saint-François-de-Sales. En 1720, ce dernier achète la seigneurie de Terrebonne et grâce à son dynamisme, elle se développe rapidement. Plusieurs fils des colons de Saint-François-de-Sales s’y installent alors que d’autres y travaillent. En 1744, le curé Lepage vend sa seigneurie et devient le deuxième curé de la paroisse Sainte-Rose-de-Lima. Après la conquête des Britanniques, Terrebonne poursuit son orientation industrielle grâce à la présence de plusieurs marchands écossais influents. Dès 1770, ils demandent la construction d’une route entre Terrebonne et Montréal. Je rappelle que les fougueux rapides de la rivière des Prairies se calmaient seulement une fois passée l’île de la Visitation du Sault-au-Récollet. Ainsi, la traversée sécuritaire de cette rivière s’effectuait à partir de cet endroit jusqu’à Saint-Vincent-de-Paul. Une fois sur l’île Jésus, les voyageurs empruntaient la montée Saint-François et la montée Champagne (boul. Sainte-Marie) jusqu’au boulevard des Mille-Îles. À cet endroit, ils traversaient cette rivière et se rendaient à Terrebonne. S’ils tournaient à gauche avant de traverser la rivière, c’était pour aller à Sainte-Rose.

En 1771, on a construit la montée Masson pour raccourcir ce trajet. Le 22 mai 1834, un pont de bois à péage est construit par le marchand John Mckenzie, le fils de Roderick Mckenzie (1761-1844) qui fut seigneur de Terrebonne de 1814 à 1824. Ce pont fut en opération jusque vers 1890 et il fallut attendre jusqu’en 1907 pour que le pont baptisé Préfontaine-Prévost fut construit.

Construit en métal, ce pont était fort étroit. Le gouvernement accepte d’en subventionner l’entretien à la condition qu’il soit libre d’accès. Cette décision mit un terme aux querelles concernant le fait que les citoyens de Terrebonne payaient moins cher que ceux de Saint-François-de-Sales pour traverser ce pont.

L’existence de ce deuxième noyau villageois fut également favorisée par l’existence d’une importante carrière d’où on extrayait de la pierre grise, matériel très recherché pour la construction des façades et des parements des bâtisses. On trouvait de la roche sédimentaire en abondance sous les dépôts meubles de l’île de Montréal et de l’île Jésus. La pierre grise était composée de calcaire formé au fond d’anciennes mers par la compression et la solidification de boue riche en carbonate et de sable. Les pierres de l’île Jésus sont toujours présentes dans plusieurs bâtiments et infrastructures québécois tels le pont Jacques-Cartier, le vieux pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, une aile du château Frontenac, le canal Lachine et bien d’autres. Les caractéristiques du lit de calcaire existant à la carrière de Saint-François-de-Sales faisaient en sorte qu’on y extrayait de la pierre de taille d’excellente qualité.

Le Château Frontenac

À Terrebonne, ces pierres revêtent toujours l’église, le presbytère et plusieurs maisons bourgeoises. Vers 1849, Sophie Masson (1798-1883), seigneuresse de Terrebonne, achète du cultivateur Antoine Masson (1795-1879) le lot 93 de Saint-François-de-Sales. Ce dernier était l’époux d’Élisabeth Limoges (1798-1876), une famille fortement implantée à Terrebonne. En 1904, Joseph Berthiaume et Thomas Lapointe, deux commerçants de Terrebonne, s’associent avec Charles Charbonneau et Louis Labelle pour former « The Louis Labelle Quary Company » en vue d’exploiter les carrières de pierre dans Saint-François-de-Sales et de construire et d’exploiter un chemin de fer qui passe sur la terre de Paul Labelle et rejoindre ainsi le quai Chartrand situé sur la rivière Jésus (Mille-Îles). Ce quai situé en eau profonde se trouvait fort probablement à l’endroit où opère aujourd’hui la marina Bobino sur le boulevard des Mille-Îles. Les pierres étaient alors chargées sur des bateaux et transportées à l’endroit voulu. Dans les années 1880, le Canadien Pacifique (CP) avait construit le chemin de fer transcontinental lequel passe sur l’île Jésus. L’arrêt du train à Saint-François-de-Sales permettait aux cultivateurs d’expédier leur lait aux usines de Montréal telle la « Guaranteed Pure Milk ». On remarque que cette voie ferrée du CP longe les carrières de Saint-Martin, du Cap Saint-Martin, de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-François-de-Sales.

Sophie Masson

On avait besoin de beaucoup de pierres concassées pour asseoir solidement les rails du chemin de fer. Un peu plus tard, ce fut la construction des routes qui nécessita un apport important en gravier. En 1910, le célèbre constructeur Félix Labelle acheta la carrière et l’opéra sous le nom : La Compagnie des carrières Félix Labelle.

Les ouvriers protestants

Durant les années 1850, plusieurs protestants anglophones travaillaient dans les carrières de pierres de Saint-François-de-Sales. À cette époque, l’ouverture d’une auberge près du pont de Terrebonne était un sujet de discorde au sein de la population de Saint-François-de-Sales. Le curé s’y opposait vivement craignant l’égarement et le vice, car la « chair est faible », locution jadis populaire. Au Canada, il existait également un mouvement social pour la tempérance qui faisait appel à la modération ou à l’abstinence totale d’alcool. Il était basé sur la conviction que l’alcool était responsable des nombreux maux de la société. La Loi de tempérance du Canada (Scott Act) de 1878 offrait aux gouvernements municipaux « l’option locale » de bannir la vente d’alcool. Au Canada français, à la suite de la défaite des Patriotes de 1837-1838, l’Église catholique s’installe en force. Elle favorise ce qu’elle appelle un « réveil religieux ». Cette période est propice à des élans mystiques dans lesquels l’alcool est tenu d’emblée comme un fléau. En 1845, Mgr. Lartigue considère que l’abstinence totale d’alcool est une avenue que les personnes fortes doivent emprunter pour servir d’exemples aux plus faibles. On trouve des élans du même type chez les protestants. Dans beaucoup de milieux, la prohibition de l’alcool est présentée comme une réforme sociale préliminaire à toutes les autres. Les lecteurs plus âgés se souviendront de cette ritournelle chantée dans leur enfance : « Je suis un Lacordaire, je ne bois que de l’eau, le régime de l’eau claire, c’est encore le plus beau…. »

Cependant, le maire de Saint-François-de-Sales autorise l’ouverture d’une auberge en utilisant le prétexte de l’arrivée de ces ouvriers protestants. Afin de les loger, il permit l’établissement de deux auberges près du pont de Terrebonne. La nécessité de la présence de ces hôtels fut discutée pendant de nombreuses années. L’aubergiste Cyriac Saint-Amour dit Payette s’est vu autoriser ou refuser sa licence annuelle selon la personne qui devenait maire. On voit ici le restaurant Charbonneau situé près du pont de Terrebonne.

Le restaurant Charbonneau

Quelques décisions du Conseil de la municipalité de paroisse

L’épidémie de variole de 1885 fait plus de 3000 décès à Montréal et ses banlieues. On utilise aussi les termes « picote « ou « petite vérole » pour désigner cette maladie. Tel que pour la Covid-19, il eut des oppositions farouches à la vaccination et à la mise en quarantaine. Dans cette situation, un surveillant empêchait tout contact avec d’autres personnes et la personne malade devait payer ce surveillant. C’est sous le règne d’Olympe Vézina qu’un premier « Bureau de santé » fut créé à Saint-François-de-Sales. En 1906, la vaccination devint obligatoire par l’adoption du règlement 66.

Aujourd’hui, on déplore le harcèlement et les menaces que subissent les politiciens. Ce manque flagrant de civisme n’est pas nouveau et je me souviens que les « assemblées contradictoires » se terminaient souvent par une bagarre générale. Le candidat qui perdait l’élection avait tout intérêt à disparaître du paysage quelque temps, car il risquait de se faire engluer de goudron et rouler dans les plumes de poulet. À Saint-François-de-Sales, le maire Désiré Fortin remet sa démission en 1902 en invoquant le harcèlement de ses opposants. Voici la lettre éloquente d’un homme d’honneur :

Messieurs les conseillers de la corporation de Saint-François-de-Sales

Pour les raisons ci-dessous mentionnées, je vous donne ma résignation comme maire de la municipalité de Saint-François-de-Sales. Il y a quelques mois, je vous demandais de ménager les deniers du Conseil puisque nous étions engagés à plusieurs dépenses, plus que les années dernières : le nivellement du chemin de fer (Canadien Pacifique), le surplus de la Salle du Conseil que vous avez votés malgré moi; nos procès, les frais pour les codes municipaux votés encore malgré moi; ensuite vingt piastres pour votre partie de labour voté cette fois plus que malgré moi. Je crois que vous avez oublié que le Maire est responsable des deniers du Conseil vis-à-vis ses concitoyens, que tôt ou tard mes paroissiens pourraient m’en demander des comptes ; comment pourrais-je répondre si ce n’est que par ma résignation. Je leur prouve comment j’avais à cœur leur intérêt. Ensuite les taquineries du conseiller Clovis Gascon que vous supportez pour me donner toutes les charges embarrassantes et me mettre toutes ces dépenses futiles sur mon année d’administration ; je suppose pour montrer que je suis plus méchant maire qu’il l’a été pendant trois ans. Ces choses sont comprises et font que ma position comme chef n’est plus tenable, c’est pour ces raisons que je résigne. Je vous prie, messieurs, d’accepter immédiatement ma résignation et de nommer mon successeur le plus tôt possible. Je profite de cette occasion pour remercier mes bons et aimés co-paroissiens du respect et de la soumission qu’ils ont témoignés à mon égard comme chef du Conseil s’ils se sont abstenus de fumer dans la salle du Conseil et s’ils ont enlevé leur coiffure pendant les séances, leurs mérites n’est pas perdu et je leur conserverai toujours un bon souvenir et je leur souhaite que celui qui récompense tous les hommes n’oublie pas le respect qu’ils ont eu pour le serment que nous avons prêté et dont on rendra compte un jour.

En 1903, le Conseil appuie une résolution visant à faire creuser la rivière Jésus (des Mille-Îles). Ce projet d’envergure consistait à relier Montréal à la baie Georgienne. Ce projet a avorté, mais s’il avait été réalisé, ça aurait changé beaucoup de choses. En 1904, on vote le premier règlement qui impose une taxe pour les commerçants dans le but d’augmenter les revenus de la municipalité. On mandate également le boulanger pour fournir le pain à la veuve Lachapelle laquelle doit nourrir ses quatre enfants. À cette époque, les municipalités étaient responsables des pauvres, des malades et des orphelins. Le 1 er février 1904, on accorde une licence de traversier à Charles Therrien en attendant que le pont conduisant à Terrebonne soit reconstruit. Cette licence au coût de 5 $ implique que la traverse devra opérer le jour et la nuit, le tarif pour la traversée de nuit sera de 50 % supérieur à celui de jour, les piétons devront traverser en même temps que les voitures, sinon il leur sera chargé 5 sous. Philias Chartrand obtient la traverse reliant Saint-François-de-Sales et Rivière-des-Prairies.

En 1906, sous le règne du maire Julien Charbonneau, le Conseil municipal adopte le règlement 54 qui permet à « The Laval Electric Company » d’établir des lignes dans les rues et les chemins publics de la paroisse de Saint-François-de-Sales dans le but de distribuer l’électricité. Plus tard, les maisons furent reliées à ces lignes électriques ainsi qu’au réseau téléphonique. Ce n’est que vers 1912 que l’électricité rejoindra les maisons. Quel bonheur de voir disparaître le « petit coin » aménagé dans les résidences grâce à un système de plomberie qui évacue les déjections nauséabondes. L’eau courante, amenée par la pompe électrique, fut une bénédiction pour les ménagères. L’électricité élimina aussi un bon nombre de risques d’incendie.

Vers 1910, les premières automobiles font leur apparition à Saint-François-de-Sales. Il faut donc limiter leur vitesse. Le Conseil déclare que la limite de vitesse est de 6 milles à l’heure particulièrement à l’intersection du chemin Masson et le rang Saint-François, dans le village et près de la barrière de péage.

La loi sur les bons chemins favorise la création des emplois municipaux

L’arrivée du train permettait de transporter rapidement les personnes et les marchandises entre les lieux reliés par la voie ferrée. Cependant ce moyen de transport ne répondait pas à tous les besoins, notamment à ceux des cultivateurs. Les procès-verbaux des municipalités de cette époque rapportent que des plaintes furent portées contre l’état déplorable des routes ainsi que diverses réclamations concernant des bris survenus aux véhicules. À titre d’exemple, en 1895, Jos Lachapelle réclame 6 $ pour le remplacement des ressorts sur sa charrette qui furent brisés à cause du mauvais état de la montée Champagne. Au printemps, de nombreux « ventres de bœuf » se formaient sur ces routes de terre et lorsque la roue d’un véhicule passait sur cet espace mou, elle s’enlisait et souvent l’essieu ne résistait pas au choc. Le conseil de ville ordonnait alors à l’inspecteur des routes d’obliger le propriétaire du terrain adjacent au lieu de l’accident, à réparer l’anormalité. On peut facilement imaginer les nombreux désagréments causés par l’état des routes. Lorsque le cheval-vapeur remplace la traction animale, la situation empire.

Depuis 1895, les cultivateurs réclamaient une véritable politique routière. Ils comprenaient l’importance de se rendre rapidement aux marchés publics et de vendre leurs produits le plus frais possible.  Sensible à ce lobby économique, le gouvernement du libéral Félix-Gabriel Marchand se procure 63 « machines à chemin » pour accélérer et uniformiser la construction des routes. Il s’agit de concasser la roche et d’aplanir les routes autrement qu’à bras d’homme. En 1911, le gouvernement de Lomer Gouin adopte la Loi des bons chemins planifiant l’ouverture du territoire et balisant les investissements. L’année suivante, il crée le ministère de la Voirie et la nouvelle se répand rapidement. Le Conseil de Saint-François-de-Sales délègue à Québec Jean-Guy Héroux accompagné de trois autres conseillers pour rencontrer le ministre de la Voirie et comprendre cette loi. Le 2 avril 1912, le groupe confirme que la municipalité aura l’argent pour faire macadamiser ses chemins municipaux au fur et à mesure que les travaux seront effectués. Cependant, il faut que la municipalité prenne l’entretien des chemins sous son contrôle et aux frais de la municipalité par voie de taxation directe. Ainsi, le 12 avril 1912, le Conseil adopte le règlement 68 qui stipule :

  1. À l’avenir, tous les chemins municipaux locaux, à la charge des contribuables de ladite municipalité de Saint-François-de-Sales et situés dans ses limites seront faits, améliorés et entretenus aux frais de cette corporation au moyen de deniers prélevés par voie de taxation directe pour cet objet, sur tous les biens imposables de la municipalité, le tout conformément aux prescriptions de l’article 535 du Code municipal et de la loi amendant les statuts refondus de 1909, relativement à l’octroi de subventions à certaines municipalités pour la confection et l’entretien des chemins ainsi que le macadamisage et le gravelage de ceux sanctionnés le 14 mars 1911.
  2. Conformément aux prescriptions de la loi ci-dessus en dernier lieu mentionnée, le règlement viendra en force quinze jours après sa promulgation.

Immédiatement après, le Conseil adopte le règlement 69 qui ordonne le macadamisage de tous les chemins de la municipalité. Les travaux devront débuter en 1912 et se terminer en 1916. C’est la compagnie M. J. Stack qui obtient le contrat de macadamiser les chemins.

La Loi des bons chemins de 1912 est venue chambouler complètement le fonctionnement des municipalités rurales. D’abord sur le plan budgétaire. Le budget de Saint-François-de-Sales de l’année 1911 se résumait à 668 $ de revenus et à 648 $ de dépense. L’année suivante, les revenus sont de 7055 $ alors que les dépenses sont de 6946 $. Dans les revenus, seulement 425 $ proviennent des taxes.  Le reste concerne des emprunts. Il faut donc une comptabilité serrée. D’autre part, c’est aussi le début des emplois municipaux, car il faut surveiller les travaux. Tous les retraités qui ont œuvré aux travaux publics doivent avoir une bonne pensée pour Lomer Gouin.

La Loi des bons chemins de 1912 fait aussi disparaître du paysage les belles clôtures de pierre des régions rurales. En défrichant leur terre, les cultivateurs avaient empilé les pierres à la bordure de leurs champs. Comme le macadamisage des routes nécessitait beaucoup de pierres concassées, la municipalité offrait 5 $ la toise (mesure de longueur, 6 pieds) de pierre de champ livré au concasseur.

Le Rapport du Ministre de la Voirie de 1915 contient une carte intéressante de l’île Jésus. Elle nous montre les principaux chemins de l’époque et les endroits qui étaient macadamisés. À Saint-François-de-Sales, on voit que la montée Masson, la montée Saint-François et le boul. des Mille-Îles, entre l’église et la montée Champagne, sont macadamisés.

Carte de 1915

La Première Guerre mondiale

Le 28 juin 1914, à Sarajevo, un jeune nationaliste serbe originaire de Bosnie, Gavrilo Princip, assassine le couple héritier du trône austro-hongrois, le prince François-Ferdinand d’Autriche et son épouse la duchesse de Hohenberg. L’Autriche-Hongrie réagit à l’attentat en formulant un ultimatum à l’encontre du royaume de Serbie, en accord avec son allié allemand. L’une des exigences austro-hongroises étant jugée inacceptable par les Serbes, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Ce qui aurait pu n’être qu’une guerre balkanique de plus, dégénère en guerre mondiale par le jeu des alliances entre les grandes puissances européennes qui sont à la tête d’empires s’étendant sur plusieurs continents.

À l’instar des autres municipalités, le Conseil de Saint-François-de-Sales votre contre la conscription obligatoire. L’enrôlement obligatoire fut l’une des premières causes de discorde entre les anglophones et les francophones du Canada.

Il me reste à souhaiter que l’actuel conflit entre l’Ukraine et la Russie ne dégénère pas en conflit mondial et qu’il trouve rapidement une solution.

Conclusion

J’espère que cette deuxième partie de l’histoire de cette ancienne municipalité vous a intéressé. J’entreprends d’autres recherches pour compléter l’histoire de cette municipalité entre 1920 et 1965.