SAINT-FRANÇOIS-DE-SALES (troisième partie)

Saint-François-de-Sales – (Troisième partie)

Un texte de Claude Lavoie

 

Voici un troisième article sur l’ancienne municipalité de Saint-François. Dans celui-ci, je vous présente un résumé de la vie de cet important personnage de la religion catholique qui lui a donné son nom. Puis je vous informe qu’en 1954, une autre municipalité a presque vue le jour sur l’île Jésus; Arèsville. En 1970, mon ineffable collègue policier, René Laforest, m’avait raconté cette histoire. Un constructeur avait vendu des maisons à bas prix, car le nouveau propriétaire devait compléter l’intérieur de la maison. René m’informait qu’un certain nombre de résidents n’avait pas procédé à ces travaux et que pour assurer une certaine intimité, ils avaient installé des draps des draps entre les pièces. Vous lirez surement avec intérêt l’histoire de Clovis Arès, tout un personnage. Il offrait aussi de construire des maisons à Terrebonne et à Rivière-des-Prairies.

Résumé de l’histoire de saint François de Sales

 

Encore aujourd’hui, plusieurs ajoutent « de Sales » au nom du quartier Saint-François. C’est en 1958 que cet ajout est disparu. L’honneur rendu à ce saint de l’église catholique, à l’un des membres de la famille de Sales, de nobles vivants en Savoie (France), était pleinement mérité. François de Sales (1567-1622) renonça à tous ses titres de noblesse pour se consacrer entièrement à Dieu. Il devint l’un des théologiens les plus considéré de son temps. Homme d’écriture, il laissa une œuvre importante qui témoigne de sa vision de la vie. « Introduction à la vie dévote » est considérée comme une œuvre majeure de la littérature chrétienne. Elle fut écrite en 1609 alors qu’il écrivait de nombreux conseils à la femme d’un cousin, Louise du Chastel, qui voulait apprendre à être dévote, et connaître une vie de prière. François de Sales rédigeait donc à son attention, lui prodiguant des conseils spirituels. Or celle-ci faisait lire les lettres de François de Sales autour d’elle, jusqu’à ce qu’un jésuite lui demandât de les publier. François de Sales accepta de reprendre les lettres et de les publier après quelques retouches. Le langage et le style utilisés étaient très simples pour l’époque, sans citations latines ni grecques, permettant une lecture beaucoup large que les traités spirituels de l’époque. Ce livre propose des conseils de prière aux hommes et aux femmes. Il se divise en cinq parties : la première partie enseigne comment passer du désir de Dieu à sa réalisation ; la deuxième partie cherche à apprendre la perfection par l’oraison, c’est-à-dire la prière ; la troisième partie est consacrée à la pratique des vertus ; la quatrième partie indique l’attitude à avoir vis-à-vis des tentations ; et la dernière considère la façon de renouveler la ferveur du dévot. Ce livre eut très vite un énorme succès : il fut ainsi réimprimé plus de quarante fois du vivant de François de Sales ; Henri IV lui-même le lut et sa femme en offrit un exemplaire orné de diamants, au roi d’Angleterre.

Depuis 1923, l’Église catholique considère François de Sales comme le patron des journalistes et des écrivains en raison de son recours à l’imprimerie. Ses publications figurent parmi premiers journaux catholiques au monde.

Se distançant des méthodes drastiques utilisées par les moines prêcheurs capucins pour convertir les populations, l’abbé de Sales cherchait à convaincre ses compatriotes par son calme, sa douceur et sa force de persuasion. Voici une anecdote à ce sujet. À l’occasion des disputes* qu’il engage avec les pasteurs protestants à Thonon, il fait preuve d’esprit de finesse. Lors d’un débat, tous s’accordent sur l’un des versets de l’évangile : Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre (Matthieu 5:39). À la sortie du débat, François se fait apostropher : « Monsieur l’abbé, si on vous donne un soufflet sur la joue droite, quelle est votre réaction ? ». Il répond avec humour : « Je sais bien ce que je devrais faire, mais je ne sais pas ce que je ferais ! »

Note : Dans la scolastique médiévale, la dispute était une méthode d’enseignement et de recherche, ainsi qu’une technique d’examen dans les universités à partir du début du XIIIe siècle. Le terme désignera progressivement les débats sur les sujets de théologie, d’abord entre Juifs et Chrétiens, puis à l’époque de la Réforme.

Canonisé en 1665, François de Sales est considéré comme l’un des personnages les plus importants de l’Église catholique. En 1702, le Séminaire de Québec, seigneur de l’Île Jésus, baptise de son nom la première paroisse de l’île Jésus en reconnaissance de l’aide qu’il a apporté aux Jésuites. En 1743, le Séminaire de Québec donnera le nom de l’ami de François de Sales à une nouvelle paroisse : Saint-Vincent-de-Paul.

François de Sales
Clovis Ares

ARÈSVILLE

Dans l’article précédent sur la municipalité Saint-François, vous avez probablement retenu que le centre des activités se trouvait à proximité de Terrebonne. La construction de la Montée Masson, l’excellente pierre de la carrière et le pont de Terrebonne produisaient un fort achalandage. L’autre noyau villageois situé près du moulin sur la rivière des Prairies était passablement délaissé et personne ne croyait, à cette époque, que le secteur se développerait.

 

Au début des années 1950, Clovis Ares commença à construire un nouveau quartier dans les environs de l’intersection Montée-du-Moulin et du boulevard Lévesque. Au début, il ne rencontra pas d’obstacle de la part de la municipalité de Saint-François-de-Sales, mais lorsque la demande d’incorporation d’Arèsville fut traitée, il eut fort probablement des objections. J’espère découvrir les arguments invoqués dans mes prochaines recherches aux archives municipales et vous en faire part dans l’Envol de juin.

 

 

Joseph Arsène Clovis Ares vient au monde à Saint-Césaire, le 19 juillet 1917. Il est le fils du cultivateur Joseph Ares et de Rose-Emma Monty. Il est le descendant de Jean Arès arrivé au Canada en 1753. Pour honorer son ancêtre, Clovis Arès érigea un monument à l’intersection du boulevard Lévesque et de la rue Emma. La famille Arès résidait dans une maison située à proximité. Cette rue fut probablement nommée ainsi en l’honneur de sa mère Rose-Emma. La rue Monty porte également le patronyme de sa mère. 

Le 1er août 1953, le journaliste Guy Lemay rapporte dans le journal La Patrie, l’histoire d’Arèsville. Nous reproduisons ci-après cet article :

Monument Ares

M. Clovis Ares réalise l’un de ses rêves de sa vie

Depuis sa tendre enfance, M. Clovis Ares formait de nombreux projets et rêves qu’il se proposait bien de réaliser dans sa vie. Aujourd’hui, âgé de moins de 40 ans, M. Ares peut se dire qu’il en a réalisé plusieurs, mais que son « programme » n’est pas encore terminé.

L’un de ces rêves était d’ériger un monument à la mémoire de son premier ancêtre, Jean Ares, arrivé au Canada en 1753. Ce monument, il s’élève aujourd’hui sur le boulevard Lévesque, à Arèsville, en bordure de la rivière des Prairies. Il a été dévoilé tout dernièrement en présence de quelque 600 personnes portant toutes le nom Ares ou y étant alliées.

ARÈSVILLE

Arèsville, tel était un autre projet de M. Clovis Ares. Depuis plusieurs années en effet, il avait l’intention de laisser à ses descendants une œuvre durable. Les moyens financiers le lui permettant, il a décidé de construire une ville qui porterait son nom et qui perpétuerait le nom de sa famille, bien connue au Canada français. Ce deuxième projet est en voie de réalisation.

L’automobiliste qui emprunte la route de Saint-Vincent-de-Paul et qui se rend jusqu’à Saint-François-de-Sales Sud, remarquera à quelques milles de là une immense affiche qui annonce que le voyageur entre maintenant dans Arèsville. Le passant remarquera aussi que déjà une vingtaine de coquettes maisons d’un étage, à toit plat, sont déjà habitées. D’autres viendront s’ajouter qui formeront la ville à laquelle M. Clovis Arès a donné son nom.

Une demande d’incorporation municipale a été faite au gouvernement provincial et la municipalité d’Arèsville sera officiellement reconnue le 1er janvier 1954. À cette date, M. Arès pourra se dire qu’un autre de ses rêves est réalisé, ou presque. Il ne restera plus qu’à continuer la construction de maisons, d’une église, d’une école et d’un centre commercial.

1000 MAISONS

La ville elle-même, lorsque le projet sera terminé, comptera 3000 maisons. Toutes les habitations seront de modèle uniforme : un seul étage à toit plat. M. Arès avait formé ce projet il y a longtemps, mais ce n’est que l’année dernière, au cours d’un voyage à Key West, en Floride, qu’il décida d’adopter ce genre de bungalows. Il remarqua que toute une ville était construite sur ce modèle. Il fut vraiment impressionné par l’aspect coquet de cette ville et décida d’en adopter le plan, modifié pour les besoins de notre climat, pour la ville qu’il se proposait de construire.

MISE DE FONDS DE $500

Un autre aspect intéressant de ce projet, c’est que la mise de fonds pour l’achat d’une de ces maisons a été réduite à sa plus simple expression. M. Arès n’exige que $500 de déboursé et un loyer d’environ $31 par mois, échelonné sur une période de 17 ans. « J’ai constaté », nous dit-il, « que 80 pour cent environ des personnes qui veulent devenir propriétaires de leur propre maison avaient tout au plus un capital initial de $1,200 à $1,500 pour l’achat du terrain et de la maison. J’ai donc décidé de construire des maisons à bas prix, $4000 environ, dont le coût d’achat serait abordable à tous les ouvriers. La mise de fonds étant peu élevée, l’ouvrier peut devenir propriétaire. Les maisons que je construis présentement ne sont pas entièrement terminées à l’intérieur. Je laisse au nouveau propriétaire le soin de terminer ces travaux comme bon lui semble. C’est ce qui me permet d’offrir des habitations à un prix aussi bas. Et l’expérience m’a prouvé que les nouveaux propriétaires sont très heureux de cet arrangement puisqu’ils peuvent économiser en effectuant eux-mêmes des travaux d’intérieur qui, s’ils étaient achevés par le contracteur, augmenteraient considérablement le coût de leur propriété. Il faut voir comment certains propriétaires d’Arèsville sont surpris eux-mêmes de leurs travaux. La plupart des citoyens actuels d’Arèsville sont des ouvriers spécialisés qui travaillent dans de grandes usines à Montréal et ils consacrent leurs loisirs à terminer la construction de leur habitation. »

Le terrain sur lequel est construite cette maison mesure 80 pieds par 90 pieds. M. Arès souligne ici que chaque propriétaire peut, selon son désir, agrandir sa maison ou y rajouter un étage. Tout a été prévu, dans le plan général, à cette fin. Chaque maison compte quatre ou cinq pièces.

SERVICES PUBLICS

La nouvelle municipalité sera dotée de tous les services publics nécessaires, L’aqueduc, pour lequel M. Arès fait la lutte depuis deux ans, est en voie de construction. Un service régulier de transport par autobus permet de gagner rapidement la ville. M. Arès a un autre projet en tête et il espère le mener aussi à bonne fin, comme les autres projets. Il s’agit de la construction d’un pont au-dessus de la rivière des Prairies qui relierait Arèsville à la Pointe-aux-Trembles. À cet endroit, la rivière a à peine 1,500 pieds de largeur et selon M. Arès, la construction de ce pont permettrait aux citoyens d’Arèsville de se rendre rapidement à leur travail à Montréal et dégagerait, en même temps, la circulation achalandée au pont du boulevard Pie IX et à Saint-Vincent-de-Paul. « Il ne faut pas oublier que d’ici dix ans, tout au plus, l’île Jésus sera entièrement habitée. On imagine facilement quelle affluence l’on trouvera sur les routes qui conduiront à Montréal ».

La construction d’Arèsville sera répartie sur une période de dix ans. Cette année cinquante maisons seront construites. « Mon grand problème, à l’heure actuelle », nous confie M. Arès, « c’est un problème de financement. Mais je suis convaincu que je parviendrai à le résoudre, malgré tous les embêtements qui me sont suscités ».

BIOGRAPHIE

D’aucuns se demandent avec quels moyens financiers M. Arès entreprend des projets d’une telle envergure. Laissons-le raconter lui-même sa vie.

« Je suis né à Saint-Césaire, dans le comté de Rouville. J’ai fait mes études à Chambly et au Séminaire de Saint-Hyacinthe. À la fin de mes études, je voulais me faire une carrière dans le Droit. Mon père n’était pas suffisamment riche pour défrayer le coût de mes études. J’ai alors décidé de me lancer dans le commerce. J’ai toujours aimé « brasser » la peinture. J’ai commencé immédiatement dans ce domaine. En 1940, avec une rame et une tasse je mêlais déjà la peinture. Mon père fut heureux de voir ma première machine à mêler la peinture.

LE TRAVAIL NE TUE PERSONNE

J’ai travaillé. Le travail n’a jamais fait mourir personne. J’ai travaillé jusqu’à dix-huit heures par jour. Petit à petit, mon commerce a grandi. Ma première usine était un ancien garage que j’ai fait transformer pour les besoins de mon commerce. Au garage succéda un ancien poulailler qui a subi les mêmes transformations. Et finalement, j’ai fait construire l’usine actuelle qui porte le nom Arès Industries Limitée. À l’industrie actuelle, j’ai ajouté d’autres industries du même genre que j’ai achetées au cours des années ».

PREMIER RÊVE

« Une partie de mon enfance a été passée à la rivière des Prairies. Je me souviens qu’à l’époque, il y avait une île au milieu de la rivière et nous allions souvent jouer dans cette île et nous baigner dans la rivière. Je crois que mon premier rêve date de cette époque. Je voulais devenir un jour propriétaire de cette île. Il me fallut attendre quinze ans. Mais je l’ai obtenue cette île qui porte le nom d’île Arès. Peu à peu, je me suis avancé du coté de Saint-François-de-sales et j’ai acheté des terrains le long de la rivière. C’est sur ces terrains que s’érige actuellement Arèsville ». 

PÈRE DE FAMILLE

Arès a épousé en 1939, Mlle Trottier de Victoriaville, et il est aujourd’hui père de quatre charmants enfants. Son sport favori est l’équitation qu’il pratique dans ses moments de loisir qui sont peu nombreux, même encore aujourd’hui, puisque sa journée de travail est encore fort longue. Il ne quitte jamais son bureau de l’avenue de l’Épée avant dix ou onze heures du soir. Comme il le dit lui-même : « J’aime le travail et j’ai encore beaucoup de besogne à abattre».

Fin de l’article de la Patrie

Clovis Arès était certainement un visionnaire, car sa prédiction concernant l’achalandage routier s’est pleinement réalisée. Il a fallu attendre une cinquantaine d’années pour que le pont Olivier-Charbonneau soit construit. L’annonce de la construction de maisons pour les ouvriers fut chaudement accueillie par la population. Le journal Le Front Ouvrier publie le 10 octobre 1953 un article soulignant l’initiative de Clovis Ares. Voici la partie introductive du journaliste Germain Brière :

« Nombreux sont ceux qui construisent des maisons dans le but de les vendre. Beaucoup moins sont, cependant, ceux qui songent à répondre en même temps aux besoins de la famille et à adapter le coût des maisons de la famille ouvrière en particulier. Il existe cependant des exceptions ; certains constructeurs ont la bonne idée d’ajouter à une recherche légitime de profit des préoccupations sociales qui sont à leur honneur. Il semble bien que M. Clovis Arès, initiateur du projet d’habitations ouvrières qui porte son nom, soit de ces perles rares aujourd’hui. »

Clovis Arès aimait beaucoup innover. Le journal Le Bulletin des agriculteurs publie en octobre 1949 qu’il cultivait la moutarde blanche.  Le journaliste D. O. Sauvé rapporte (page 45) qu’ordinairement la moutarde est une plante nuisible et qu’on cherche surtout à s’en débarrasser. On confondait alors la moutarde blanche avec d’autres variétés telle la moutarde sauvage ou la moutarde des champs. À la suite de l’initiative d’Arès, on cultive la moutarde blanche au Canada, particulièrement dans les provinces de l’ouest. Ses graines sont riches en lipides (environ 35 %) et produisent une huile à usage industriel ou alimentaire. Elles sont à la base de la préparation du condiment qui porte le même nom, la moutarde. La moutarde blanche est aussi une plante fourragère et une plante mellifère. Elle est parfois semée comme engrais vert ou « piège à nitrates », c’est-à-dire culture intercalaire évitant de laisser les champs à nu pour limiter le lessivage des nitrates solubles. Dans ce cas, semée par exemple après une céréale, elle doit être détruite avant la montée en graines pour éviter qu’elle se ressème naturellement et devienne une mauvaise herbe, notamment dans les cultures de colza. Elle est aussi utile pour tuer les nématodes. De plus, sa racine puissante permet de briser les mottes d’argile d’un sol très lourd, et ainsi de faciliter l’incorporation d’humus et l’amélioration du sol.

Il cultivait la moutarde blanche sur une île de la rivière des Prairies identifiée « île Arès ». Je n’ai pas trouvé l’endroit où se situe cette île d’un mille de circonférence.

Lorsque le projet de créer Arèsville disparaît, Clovis Arès s’estompe du paysage. La publicité parue dans Le Petit Journal du 21 septembre 1958 indique à la page 57 que c’est la firme Turcot et Lefort qui prend la relève. En 1965, cette compagnie fait faillite.

Plus tard, on retrouve Clovis Arès impliqué à Saint-Scholastique dans la compagnie Lakefield. Il est accusé de fraude, mais il est acquitté. Il disparait de la vie publique par la suite.

La rue Clovis rappelle probablement le souvenir de cet homme audacieux et créatif, mais qui ne possédait pas suffisamment d’appuis financiers. Cette histoire ressemble à celle du curé Louis Lepage de Sainte-Claire qui fut le premier curé de Saint-François-de-Sales. Ambitieux, il acheta la seigneurie de Terrebonne et la développa rapidement. Il entreprit la construction de navires et l’exploitation de mines. Cependant, son manque d’appui politique et financier le força à vendre Sa Seigneurie et ses bonnes idées furent mises au rancart.

Il faut tout de même dire merci à Clovis Arès qui a développé la zone sud de la municipalité de Saint-François.