Broche à foin inc.

Broche à foin inc.

par Denis Bertrand

C’est le nom que devrait porter le gouvernement du Québec, dont l’incompétence en matière de régime de retraite atteint des niveaux rarement vus dans les économies développées.

Le projet de loi 3 est officiellement destiné à régler les problèmes des régimes de retraite. Il n’en est rien, c’est un exercice de propagande dont le but est de faire plaisir à certains roitelets municipaux. L’impact concernant les retraités peut sembler anodin si l’on se limite à lire l’article 8.1 du projet de loi qui se lit comme suit : « l’indexation des rentes des retraités au 31 décembre 2013 peut être suspendue si l’organisme municipal le décide ». Cependant cette suspension de l’indexation représente une perte de 25 % de la valeur de la rente si l’indexation autrement payable se chiffre à 1,5 % par année pendant 15 ans. Nous serons à la merci d’une décision de l’administration municipale en la matière.

Attardons-nous un instant à l’aspect éthique de la rupture des conventions collectives résultant d’une suspension de l’indexation qui n’est rien d’autre qu’une rupture de contrat. Sauf erreur de ma part et sans émettre un avis juridique à ce sujet, lorsque deux parties ayant la capacité de contracter en arrivent à une entente signée, celle-ci ne peut être modifiée sans l’accord de ces mêmes parties. Tel que le faisait mention monsieur Gérard Vincent dans l’édition du 30 août du Devoir, depuis 40 ans le gouvernement du Québec maintient que le contrat de production d’électricité des chutes Churchill est légal même s’il défavorise largement la province de Terre-Neuve et il ne veut en aucune façon le modifier. Nos conventions collectives et nos recueils de conditions de travail ne défavorisent pas l’employeur d’une telle façon, mais cela n’empêchent pas le gouvernement de renier ces textes, sommes-nous en présence d’un cas de deux poids, deux mesures?

Maintenant que dire aux 1131 retraités et bénéficiaires ayant pris leur retraite avant le 1er janvier 2007, moment où le régime de retraite était capitalisé à 99,2 %? La détérioration de la situation financière des régimes de retraite a deux causes : les rendements de l’année 2008 et le renforcement des hypothèses actuarielles par l’actuaire-conseil du Comité de retraite. Aucun de ces deux éléments ne résulte de la volonté des participants et il ne faut pas perdre de vue qu’en matière de rendement, la situation est en voie de se corriger à moyen terme. Le projet de loi 3 est donc aussi utile qu’avoir une jambe dans le plâtre pour faire du ski alpin.

Revenons à l’équité, selon le nombre de participants au 31 décembre 2012 et l’état du déficit au 31 décembre 2013, le déficit par individu pour notre régime de retraite est d’environ 58 500 $. Ce chiffre per capita s’établit, selon un reportage du journaliste Mathieu Boivin de COGECO nouvelles, à 854 000 $ pour chaque juge participant du régime de retraite des juges du Québec, à 370 000 $ pour chaque député participant au régime de retraite des députés de l’Assemblée nationale et à 344 000 $ pour chaque policier participant au régime de retraite de la Sureté du Québec. Pourtant, aucun de ces trois régimes, à la charge des mêmes contribuables que les régimes municipaux, ne fait l’objet de modifications par le gouvernement. Deux poids, deux mesures ?

Le ministre Moreau a mentionné que les participants n’ont pas fourni de pistes de solutions pour diminuer le coût des régimes de retraite. Il détient pourtant une solution simple en ce domaine. Le manuel de la comptabilité municipale a été modifié vers la fin des années 1990 ou le début des années 2000 pour changer le coût des régimes de retraite en calculant la dépense comptable, celle qui détermine le compte de taxe, différemment de la dépense actuarielle. Ceci fait en sorte que pour les années 2011 et 2012 la dépense inscrite par la Ville et donc incluse dans les comptes de taxes, s’élève à 112 millions alors qu’une somme de moins de 74 millions a été versée à la caisse de retraite pour ces mêmes années. L’utilisation des anciennes méthodes comptables aurait sans doute réduit le coût taxable des régimes de retraite de 34 %, une économie non négligeable.

Le baromètre de notre régime de retraite

Afin que la discussion concernant le sort des régimes de retraite se poursuive à partir d’éléments sérieux et non l’habituelle démagogie de nos politiciens, j’ai mis à jour le baromètre de notre régime de retraite en date du 31 août 2014. En utilisant la même méthodologie que précédemment, j’ai élaboré une estimation du taux de capitalisation à partir des informations publiques de notre régime de retraite. Selon ces calculs, notre taux de capitalisation s’établissait environ à 85,4 % au 31 août 2014 comparativement au taux de 68,8 % au 31 décembre 2012.

En utilisant la moyenne des rendements du dernier trimestre des 5 dernières années et en supposant un rendement de 0 % en septembre 2014, j’ai projeté la situation au 31 décembre 2014, elle s’établirait donc à 88,3 %. N’importe quel individu doté d’un minimum d’honnêteté intellectuelle constaterait que la situation, bien que sérieuse, n’est pas le désastre souhaité par nos chers politiciens. Leur devise devrait être « Le mensonge n’est un vice que quand il fait du mal; c’est une très grande vertu quand il fait du bien. Soyez donc plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme le diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et pour toujours. » (Voltaire : lettre à Thiriot du 21 octobre 1736). Je n’aurais jamais cru que nos politiciens lisaient de tels classiques, ils semblent cependant en maîtriser parfaitement l’application puisqu’ils mentent pour notre bien.

(Septembre 2014)