À la santé de nos ancêtres : le vin d’hier à aujourd’hui

À la santé de nos ancêtres : le vin d’hier à aujourd’hui

Texte de Luc Marier, sommelier et amateur de vie ! 

Bien malin celui qui n’a pas révisé sa consommation d’alcool, dernièrement, avec cette étude qui nous recommande de se tenir à distance de la dive bouteille. Il ne nous reste plus que 2 ou 3 verres d’alcool par semaine pour ne pas s’attirer un « contre-plaisir », d’ordre médical. J’ai rencontré bien peu de gens que cette nouvelle a laissés indifférents, mais aussi, bien peu qui changeront leurs habitudes. Pour ma part, j’ai toujours prôné de moins boire, mais de bien boire. C’est comme de se priver de 3 poutines pour se payer un foie gras !!!

Ce mois-ci, je vous amène malgré tout, contre vents et gadoue, dans mon monde de découvertes. J’y mets toutes un cumule d’expériences pour vous proposer une théorie de l’origine de notre goût de l’alcool. Voire aussi peut-être, de son abus.

Ancien enquêteur de police, maintenant sommelier de profession, plongeur sous-marin de longue date et présentement au BAC en anthropologie (science de tout ce qui est humain), le vin vient me chercher dans chacune de mes fibres. L’enquête sur les origines du vin m’a amené tant dans l’océan, avec la découverte d’amphores anciennes dans des épaves grecques, que dans des vignobles où la vigne était déjà cultivée par les Romains, il y a près de 2000 ans. L’une des branches de l’anthropologie est l’archéologie, et celle-ci croise maints sites où se trouvent des évidences de bière ou de vin.

Le vin est aujourd’hui un bien de consommation courant, contrôlé par des impératifs économiques, mais qui a traversé les âges avec différentes vocations; les primates et le monde religieux en ont eu une approche bien différente.

Voici donc un portrait du vin, de ses débuts probables, à son impact économique de nos jours, au travers de cinq développements majeurs. Sans toutefois l’aborder, on peut aisément faire un parallèle avec les origines de l’alcoolisme.

L’hypothèse du singe ivre

C’est grâce à la mutation d’un gène, il y a plus de 10 millions d’années, que les primates peuvent digérer l’éthanol (Carrigan et al. 2014). Et l’humain étant un primate, on a donc hérité et conservé ce gène jusqu’à nos jours.

Nos ancêtres primates et, plus tard, les premiers humains, avaient d’ailleurs une attirance sélective pour les fruits bien mûrs et surtout ceux qui fermentaient naturellement, grâce à l’effet combiné de leur sucre et de leurs levures.

Ces fruits, produisant de l’éthanol, ont l’avantage de posséder encore plus de calories et sont faciles à localiser par leur odeur. Certaines oranges sauvages, le marula ou les figues par exemple, ont cette faculté. Ce comportement se voit encore, entre autres, chez les capucins d’Amérique centrale.

Seconde raison d’en consommer, l’alcool leur procurait un effet apaisant, aidant à supporter le stress de la jungle (Dudley 2014). Quoique faible en alcool, la consommation devait être contrôlée, puisqu’un singe ivre est un singe mort aux yeux du prédateur affamé.

Hypothèse paléolithique

Il y a deux millions d’années, les chasseurs-cueilleurs (Homo erectus) ont découvert le raisin sauvage d’Eurasie (Israël, Palestine, Serbie, Turquie et autres). Les raisins, écrasés sous leur poids dans le contenant où ils étaient, ont fait du jus. Ce jus a fermenté sous l’effet des levures naturelles et a ainsi produit le premier vin (McGovern 2015). Le vin pourrait donc être issu d’un processus accidentel.

Domestication du raisin

La domestication du raisin s’est produite au Néolithique (autour de 8000, avant notre Ère), en Transcaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). Et la production de vin a débuté en Asie de l’Ouest à la même époque (McGovern 2015). La grotte Areni- 1, en Arménie, donne des preuves de production de vin datant de 6000 ans, étant sûrement l’un des tout premiers chais.

Vin et religions

Avant de comprendre la fermentation, la transformation du jus de raisin en vin était vue comme une opération divine. Le vin a donc appartenu au domaine sacré, étant intégré dans les rituels de plusieurs religions et comme symbole de statut. La Bible nous dit même que « seul l’abus [de vin] qui conduit à l’ivresse est considéré comme un péché » (Timothée, 5,23). La Genèse y fait abondamment référence aussi, avec entre autres, la mission première de Noé de replanter la vigne. On le retrouve aussi au dernier repas, symbole du sang du Christ et à la communion chrétienne.

En Mésopotamie, Gilgamesh est probablement le 1er vigneron mythique. Les Grecs ont voué un culte à Dionysos, Dieu du vin, qui venait lui aussi de Mésopotamie et est devenu Bacchus dans la mythologie romaine. La religion ancienne égyptienne a fait aussi une association symbolique entre vin et sang, surtout parce que les 2 sont rouge.

La globalisation du marché

Avec le temps, le vin a voyagé de l’Asie de l’Ouest vers l’Europe puis, vers les pays du Nouveau Monde, même en Afrique, les Amériques et l’Océanie. La production viticole répond ainsi à une demande toujours croissante.

Façonné par l’humain au cours des millénaires, le vin doit donc son existence à son passé. Sans aborder les enjeux sociaux de l’abus d’alcool, il appert que sous chaque bouchon se cachent une histoire et une raison de le consommer. Son essor a donc soutenu une industrie agricole et technologique importante.

Quelques suggestions coup de cœur

Vin rouge : Vin efficace et maison que j’adore

  • Italie, Vénétie, Pinot Nero, de la maison Maculan 2021. Sucre = 2g/l. SAQ 11580987. 20 $. Rien de compliqué ici, avec ce 100 % pinot noir, un vin souple et polyvalent au goût de cerise, framboise, canneberge et notes florales, dont la violette. Une belle fraîcheur qui laisse une légère impression surette qui se prolonge. Bel accord avec des charcuteries, un poulet rôti ou un plat à sauce simple tomatée.

 

Vin blanc : un classique divin 

  • France, Vallée de la Loire, Domaine des Baumard, Savennières 2019. Sucre = 3.3g/l. SAQ 12202021. 39 $. Classique parmi les classiques, la vigne y pousse depuis le XIe siècle. Ce 100 % Chenin blanc est suave, presque gras et exprime tout ce que doit être ce cépage. C’est un vin gouteux avec un bouquet de tilleul, poire, fruits secs et miel. Dans l’optique de bien boire, c’est un must. Le vin parfait

3- Espagne, Castille de la Manche, Bodegas Verum, Sauvignon blanc et gewurztraminer 2019. 24 $. Exclusivement en importation privée, par l’agence Mon Caviste et l’auteur de ces lignes. Ici on sort de sa zone de confort. C’est le meilleur des 2 mondes; la fraîcheur du sauvignon et la richesse du gewurztraminer. Tout en équilibre entre un côté agrume et des saveurs de litchi et floral. Une texture grasse qui tapisse la bouche en une longueur agréable. Par lui-même en apéro ou avec des pâtes aux fruits de mer, des sushis ou des escalopes de porc panées, sauces asiatiques.

Bibliographie

Carrigan, Matthew, Oleg Uryasev, Carole Frye, Steven Benner. 2014. « Hominids adapted to metabolized ethanol long before human-directed fermentation ».
PNAS, 1 décembre 2014, http://doi.org/10.1073/pnas.1404167111

Dudley, Robert. 2014. « The Drunken Monkey: Why We Drink and Abuse Alcohol ». University of California Press.

Howard, Christopher. 2022. « The turning point in the evolution of wine ». Blog Sapiens, 31 mai 2022. https://www.sapiens.org

McGovern, Patrick. 2015. « Intoxicating: The Science of Alcohol ». Blog. www.penn.museum.

Ulijaszek, Stanley. 2018. « Nutritional Anthropology ». The International Encyclopedia of Anthropology. Edited by Hilary Callan. 2018. Published by Wiley & sons Ltd.
DOI: 10.1002/9781118924396.wbbiea1510.