Des bulles pour tous

Des bulles pour tous

 

Texte de Luc Marier, sommelier et amateur de vie ! 

Alors que mon premier texte traitait des vins français de la région du Beaujolais, très festif, et du mode de vie qu’il induit, je m’épancherais ici sur les vins mousseux ou effervescents; de la différence entre Champagne et crémant en France, du prosecco italien, du cava espagnol et autres bulles de ce monde.

Ceux qui me connaisse savent, qu’en tant que plongeur sous-marin de longue date, j’ai fait beaucoup de bulles et en tant que sommelier … j’en ai bu passablement ! J’adore ces vins mousseux et pas que pour les occasions. Parce qu’il s’agit bien ici de vin, auxquels on ajoute des bulles, avec des méthodes différentes, élaborée ou plus simple.

La quintessence, le Champagne, que seuls les vins, dont les raisins ont poussé en France, dans la région viticole de Champagne, ont droit à ce nom. Même, dans les années ’80, une marque de cigarette américaine a tenté d’usurper la notoriété de l’appellation. Elle s’est fait poursuivre et a perdu. Trente ans plus tard, une compagnie de papier à rouler a tenté de se nommer « Crystal Champ ». Même résultat!

Bien que des producteurs de vins mousseux vantent leur méthode de vinification de « champenoise », c’est aussi illégal. Ils doivent inscrire « méthode traditionnelle » sur l’étiquette. Mais qu’en est-il au juste ?

Méthodes de prise de mousse :

À toute fin pratique, tous les pays producteurs de vins, font des mousseux : shiraz pétillant australien, Cava espagnol, en Italie c’est le Franciacorta, le Lambrusco, le Prosecco, le Moscato d’Asti, en Allemagne c’est le sekt ou le schaumwein, ou encore le sparkling wine en Angleterre. Le Québec n’y échappe pas.

Tous les vins, sans exception, ont en commun les mêmes ingrédients de base; du sucre (jus de raisin) et des levures (ajoutées ou non). Ces 2 ingrédients mis en contact donnent invariablement 2 résultats; les levures mangent le sucre et le transforment en alcool et en gaz carbonique. C’est ce qu’on appelle la fermentation. Donc, tous les vins sont gazeux. La majorité des vins, qu’on dit « tranquille », perdent une grande partie de ce gaz et pour les mousseux, on le conserve ou on en ajoute.

Pour la méthode champenoise … ou traditionnelle, on crée un vin de base. On l’embouteille en rajoutant une liqueur de tirage, soit une dose de sucre et de levures. Une deuxième fermentation s’enclenche. Les gaz sont conservés dans la bouteille par un bouchon temporaire (un bidule). Et voilà, un vin mousseux de façon trad ! D’autres étapes s’ajoutent, comme de tourner les bouteilles pour remettre en suspension les levures puis vient ensuite le dégorgement, pour extraire les levures de la bouteille.

Les crémants, ces mousseux français qui proviennent de régions autres que de Champagne, sont élaborés suivant cette méthode. Les cava, en Espagne aussi.

Le Prosecco en Italie ou le Sekt en Allemagne s’élaborent avec la méthode Charmat (du nom de son inventeur). Similaire à la méthode précédente, mais avec une différence de taille; les vins de base sont réunis dans une grande cuve en inox, sous haute pression, et on y ajoute une liqueur de fermentation et des levures. La deuxième fermentation crée du gaz carbonique qu’on conserve dans la cuve et pour l’embouteillage.

Récemment, les Pet’Nat sont apparus sur les tablettes de la SAQ. Ce sont des « pétillants naturels ». Le nom est moderne, jeune et captif pour les curieux. Mais la méthode est « ancestrale », « rurale » ou « artisanale ». En effet, les ancêtres ont vite compris l’utilité du gaz dégagé par la première fermentation. Ils mettaient le vin en bouteille avant même la fin de sa fermentation pour capter ces gaz.

Bien sûr, la méthode la plus simple est l’ajout de gaz carbonique au vin. Comme on fait l’eau pétillante.

Cépages et goût

En Champagne, on utilise surtout 3 cépages; le chardonnay, le pinot noir et le meunier (raisin rouge). Chacun donne une prestation différente; le meunier donne du corps, du gras, du fruit et de l’arôme, le pinot noir c’est la charpente et l’aptitude au vieillissement, le chardonnay, la finesse et la souplesse. Rien de facile pour trouver son coup de cœur, les 3 trois cépages peuvent se retrouver séparément ou en assemblage.

Chaque pays, ou région, se distingue par l’utilisation de cépages locaux; le glera pour le prosecco, le xarel-lo, le macabeo, le parellada pour les cava. Le chardonnay est aussi utilisé dans plusieurs pays.

On doit aussi tenir compte du sucre résiduel, soit la quantité de sucre restant après l’œuvre des levures et celle rajoutée au vin. La norme est semblable pour tous les mousseux et se calque, grosso modo, sur les normes champenoises. L’étiquette nous donne un indice du dosage, du plus sec (moins sucré) au plus doux (plus sucré) :

  • Brut nature : moins de 3g/l à non dosé
  • Extra brut : 0 g/l à 6 g/l
  • Brut : moins de 12 g/l
  • Extra dry : entre 12 et 17 g/l
  • Sec : de 17 à 32 g/l
  • Demi-sec : de 32 à 50 g/l
  • Doux : plus de 50 g

Mais qu’est-ce qui justifie à la fois le prix/plaisir, la qualité ou le goût ?

Le temps c’est de l’argent !

En Champagne, c’est comme cuisiner une pièce de viande ; grillée à la poêle ou mijotée ! Si on s’appelle Champagne, le vin de base (ou vin clair) est imbuvable. Mais le temps arrange très bien les choses. C’est réglementé, c’est minimum 15 mois de vieillissement avant de retirer les levures de la bouteille (dégorgement). Pour les Champagnes millésimés (avec les raisins d’une seule et très bonne année), c’est minimum 3 ans de vieillissement. La plupart des Champagne n’ont pas de date d’élaboration (millésime), puisqu’ils sont composés de vins de réserves qui peuvent dater de plusieurs années à plusieurs décennies. L’assemblage de ces vins de réserves donne une signature, toujours la même, selon la maison; Bollinger, Bruno Paillard, Roederer, Deutz (mes préférés chez les grosses pointures) etc.

Je représente une maison, plus modeste, la maison Dehours. Leurs vins de réserve datent de 1998. Comme ailleurs, un Champagne millésimé, provenant d’une seule parcelle classée 1er cru ou grand cru, ou encore élaboré avec plus de vin de réserve, c’est plus cher … beaucoup plus cher.

Chez Dehours, c’est 70% Meunier, 20% pinot noir et 10% chardonnay, pour leur cuvée Grande Réserve. Le meilleur des 3 mondes avec jusqu’à 25% de vin de réserve. Vieillissement jusqu’à 27 mois, dosage (sucre résiduel) de moins de 6g/l. Le Meunier lui donne cette sensation que chaque gorgée vous tapisse la bouche, avec ses saveurs de fruits blancs compotés (pêche, pomme, poire) et d’amande grillée.

Toutes les maisons de Champagne possèdent leur Cuvée Prestige; chez Moët & Chandon c’est Dom Pérignon ($280), chez Roederer c’est Crystal ($830) et la Cuvée 007 pour Bollinger ($260) etc.

En France, les crémants sont une bonne substitution, d’excellente qualité/prix. On en retrouve en Bourgogne, en Loire, à Bordeaux, en Alsace. Les temps de vieillissements sont moins longs et on n’utilise pas de vins de réserves. Dans mon porte-folio d’importations privées, le Domaine Passot élabore, en méthode traditionnelle, un crémant de Bourgogne, 100% chardonnay, que j’aime qualifier de « suave ». Avec son nez de fleurs blanches, d’agrumes et de levures. Soyeux en bouche, bien rond, avec ses notes d’agrume, de brioche et de noisette.

En Espagne, le prix des Cava va de pair avec leurs vieillissements. Ici aussi, les règles sont strictes, mais beaucoup plus souples qu’en Champagne. Le vieillissement minimal est de 9 mois, de 15 mois pour le « Cava Reserva » et de 30 mois pour le « Grand Reserva ».

Dans mon porte-folio d’importations privées, j’ai un Grand Reserva de la Bodega(vignoble) Verum, 100% chardonnay, vieillit 36 mois et brut nature (très sec). Il ne fait pas l’unanimité, certains ne jurent que par lui, d’autres n’acceptent pas sa presqu’absence de sucre. Son fruité est bien présent, de fruits blancs (pomme, poire), une touche d’agrume et de fleurs (tilleul, camomille). Avec une petite amertume de fin de bouche. C’est mon accord d’apéro avec endive/humus/chair de crabe ou avec un fromage de chèvre (surtout le feta de la Fromagerie Troupeau Bénit, du monastère des sœurs orthodoxes grecques de Brownsburg) en salade avec tomates cerise, basilique fraîche et vinaigrette huile d’olive/vinaigre de citron.

Chez les Cava de la SAQ, j’adore le Pares Balta, en agriculture bio. Soit celui qui se nomme « Cuisiné » ($38) qui a moins de 2g/l de sucre, ou l’entrée de gamme ($18) brut (moins de 6g/l). C’est d’ailleurs mon secret pour mon cocktail (de fille): ¾ d’un verre à vin de cava, ¼ de verre de jus de canneberge et une larme de Cointreau (ou Triple Sec), 1 glaçon. Pour une belle mousse rosée, on passe au shaker. Mise en garde ici : JE NE SUIS PAS RESPONSABLE DES DÉPENDANCES QUE CE COCKTAIL VA CRÉÉES. Ce cocktail se fait très bien avec un restant de vin blanc. 

L’Italie n’est pas en reste dans ce domaine. Alors que le prosecco est un vin mousseux qu’on dit plus « techno » pour son procédé plus simple et rapide (ça prend 2 semaines pour en faire) en cuve sous pression. Il est élaboré toujours avec le même cépage, le glera (aussi appelé « prosecco »), et toujours de la même façon, donc ses arômes et saveurs se ressemblent d’un producteur à l’autre. Son prix doux, cependant, le rend populaire et est le vin effervescent le plus vendu sur notre planète, avec ses 500 millions de bouteilles/année (300 millions de bouteilles/année pour le champagne).

Depuis 2009, la Vénétie et le Frioul sont producteurs sous une dénomination d’origine contrôlée, donc avec des normes strictes. En Italie, de façon générale, on recherche la mention DOCG pour les normes de qualité les plus sévères. À la SAQ, on dénombre plus d’une cinquantaine de références de prosecco, entre $15 et $25.

Mon préféré, chez Nino Franco, ce « prosecco superiore » Valdobbiadene (nom du village où poussent les raisins), DOCG (top qualité), brut (11g/l de sucre), $22 à la SAQ. C’est d’une belle acidité rafraîchissante. Des arômes de fruits exotiques, d’agrumes (citron, pamplemousse confit), de pomme verte et une touche de minéralité (comme du caillou) qui rappelle le terroir d’où il vient.

Mais l’Italie c’est aussi les Franciacorta, en Lombardie, qui n’ont rien à envier aux champagnes et pour lesquels les règles de productions sont encore plus sévères. L’aire de production (là où poussent les raisins) est beaucoup plus restreinte qu’en Champagne (on y produit 18 millions de bouteilles) et est à plus du ¾ en agriculture bio. On utilise le chardonnay, le pinot noir (comme en Champagne) ainsi que le pinot blanc. J’adore celui de la Maison Ca’del Bosco, cette bouteille recouverte d’une pellicule orangée. Son profil aromatique rappelle la pomme-poire, les agrumes et le pain grillé. La bouche confirme le nez.

En méthode ancestrale, je vous recommande sans hésiter le Triple Zéro du Domaine de la Taille aux Loups, en Loire, 100% chenin blanc. Très frais (belle acidité), sec (3g de sucre par litre) avec prédominance de pomme verte et touche d’agrume (zeste de citron), un brin brioché et minéral. Le chenin blanc est sans conteste mon cépage favori … mais on s’en reparle dans un autre article.

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter de très « effervescentes » fêtes, tout de joie et de sérénité.

Prochain article sur … je ne suis pas branché : vous pourriez m’aider en m’écrivant.

Je vous donne le choix entre :

  • À la santé de nos ancêtres : le vin, de ses origines à nos jours
  • Vins hors de prix : les substituts à portée de bourse

Écrivez-moi à info@aervl.com

(1er décembre 2022)