Doux printemps quand reviendras-tu ?

Doux printemps quand reviendras-tu ?

Un texte de Luc Marier

Pour moi, cette période de l’année n’est pas si douce et signe du retour des tunnels carpiens et des courbatures. Mais volontaires, bien mérités, sous des cieux enchanteurs et en toute amitié.

Avec le propriétaire du vignoble du Domaine des Salanges, André Brossard et notre vieux PP, Pierre-Paul Guillemette (80 ans cette année) nous montons, bon an, mal an, aux Îles-de-la-Madeleine pour le ménage printanier du vignoble. C’est joint à nous cette année, mon complice blogueur, Claude Lalonde (VinFormateur). Nous y rejoignons le fils d’André, Laurence-Olivier, le vigneron, qui y vit en permanence.

Ce mois-ci, je vous propose de rester au Québec, avec une « arrière-scène » de la conception du contenu d’une bouteille de vin ainsi que quelques vins coup de cœur et des produits d’ici pour les sublimer, tous à portée d’excursion d’une journée (sauf pour les Îles-de-la-Madeleine, bien sûr).

Le vent aux Îles, c’est comme les écureuils au parc Lafontaine, ça fait partie du décor. Mais notre aide cette année était d’autant plus appréciée qu’il fallait s’attaquer aux ravages de Fiona, l’ouragan tropical qui a remonté vers le nord jusqu’aux provinces maritimes, en septembre dernier. Sur notre route, on a pu suivre son passage au Nouveau-Brunswick et particulièrement à l’Île-du-Prince-Édouard. Tellement sévère en termes de décès et dommages que l’Organisation météorologique mondiale a retiré le nom « Fiona » de sa liste, qui revenait aux 6 ans. Avant tout, tenir un vignoble, c’est de l’agriculture, toujours soumis aux aléas de Mère Nature.

Viticulture et ses étapes

Première étape du grand ménage, on se débarrasse de tout ce qui a produit l’année précédente. C’est la taille de chaque branche de chaque pied de vigne (9000 au total). Avec un ancrage pour l’année prochaine; on garde un « courson » (petit bout de branche de 4 cm) qui poussera à l’opposé d’une baguette (longue branche de +/- 45 cm). Mais voilà, il y a plus de 2 branches sur chaque cep. C’est comme une psychanalyse végétale à chaque plant où il faut observer, conserver, couper les bons sarments (branches). Ces branches sont entortillées et agrippées avec leurs vrilles autour de fils de fer (le palissage). Il faut donc les arracher et les sortir de chaque rang, qui sont de longueurs variables, de 100 à 200 pieds en moyenne. Cet amas sera plus tard brûlé sur plusieurs jours. La braise servira à faire cuire nos papillotes de bavettes de bœuf marinées, bien sûr arrosées de la dernière cuvée. J’en reparlerai plus loin. (Crédits photos Fany Bérubé, Vignoble des Salanges et Claude Lalonde, VinFormateur).

Le Domaine des Salanges est un vignoble sur mer, influencé par ce climat rigoureux, mais ni très froid, ni très chaud et balisé de cet air salin qu’on appelle justement les salanges. Ce petit goût de saumure qu’on retrouve d’ailleurs dans le vin. Le vent et l’hiver restent intraitables et sans complaisance avec le palissage, soit tous ces poteaux reliés par trois fils de fer sur lesquels la vigne pousse et s’expose au soleil, en quête de croissance et murissement rapides du raisin. Chaque année, on doit changer plusieurs poteaux brisés ou simplement pourris. Les fils de fer sont cloués à hauteur précise et tendus presque à leur maximum.   

 

Chaque baguette (la branche taillée longue) est, par la suite, attachée au fil le plus bas, en s’assurant que les bourgeons pointent vers le haut. En poussant, chaque branche ira s’agripper sur le deuxième, puis le troisième fil de fer, au cours de l’été. Dernière étape printanière, on garde un nombre déterminé de bourgeons, en moyenne 12 par plants, les autres on les enlève. Tout ça, répété 9000 fois !!!

L’été amène son lot de désherbage et effeuillage, nettoyage, mise d’engrais, traitement de maladie, inquiétudes et incertitudes. Suffit qu’il y ait une Fiona pour réduire la production et la semer aux quatre coins des îles. Comme ils disent là-bas, en termes d’ouvrage, ils ont de « l’eau par-dessus leurs bottes de rubber » ! Ici, rien de mécanisé, tout ce fait à la main ou à l’outil manuel à essence. 

Goût des Îles 

 Mais à quoi s’attendre d’un vin des Îles-de-la-Madeleine ? Trois cuvées sont disponibles, mais encore faut-il s’y rendre pour y gouter et en acheter. Tous issus du même cépage rouge, le Baltica. Le blanc se fait attendre, en Solstice et en Muscat, la production prendra quelques années encore. Le rosé, qui se nomme Lorose (« Lo » pour Laurence-Olivier) est généreux, presque gras, et rappelle les canneberges sauvages qui poussent aux îles, la framboise et la cerise, avec ce côté juste ce qu’il faut de surette. Le rouge, le Beausoleil, est plus charnu, d’emblée, c’est la saveur de cerise noire et juteuse ainsi que son goût de noyau, qui se marie à la mûre et la canneberge, puis les notes de poivre blanc, d’épices douces et d’iode discret suivent. La Margoulette, un vin fortifié, qu’on nomme ici le Madelinot (pour ne pas usurper l’appellation de Porto), ajoute une sucrosité aux arômes déjà décrits, ainsi que des saveurs de noyau de cerise plus prononcée, son taux d’alcool plus élevé lui transmet une chaleur de passage au gosier.

 

Bonnes adresses ailleurs au Québec  

Bien que la conception d’un vin, partout sur la planète, est tributaire de 3 variables, le climat, le terroir et le vigneron, tous doivent franchir sensiblement ces mêmes étapes pour obtenir des produits aux saveurs diamétralement différentes. Au Québec, j’aime bien visiter les vignobles et parler aux gens qui y travaillent. À portée de courtes excursions, la région des Laurentides nous offre justement de beaux et bons vignobles.

Vignoble biologique Négondos, Mirabel

J’adore les produits du Vignoble Négondo, le premier à s’être imposé l’agriculture biologique au Québec. Donc peu ou pas de sulfite et aucun produit chimique. Huit cuvées à découvrir, dont le très particulier et agréable « Julep », vin orange à la mode ces temps-ci.

Ce vin blanc s’obtient par une macération longue des peaux de raisins avec leur jus. Son nom et sa couleur reflètent en partie sa saveur. L’Opalinois, autre vin blanc, on se l’arrache. Il me serait inutile de vous le décrire, puisque chaque millésime est entièrement écoulé et celui qui s’en vient aura ses propres caractéristiques. Je vous laisse le plaisir de la découverte.

Vignoble Rivière du Chêne, Saint-Eustache

À quelques minutes du vignoble Négondo. Bien connu pour sa Cuvée William et son Rosé Gabrielle. J’attire votre attention sur leur vin fortifié, 100 % Maréchal Foch, le Éraporteross, aromatisé au sirop d’érable, comme un produit bien d’ici. Donc, ça en fait un vin doux (sucré, soit autour de 80 g/litre de sucre résiduel) et parfait au dessert, avec une gâterie chocolatée ou au caramel, ou encore tout simplement avec des noix. En sommellerie, on recommande les vins doux sur du sucré; sucre sur sucre, on obtient une certaine balance de texture, de goût et … de plaisir. Cela dit, ce vin inspiré du porto peut s’apprécier sur de la crème glacée, par lui-même ou avec un fromage relevé, un bleu par exemple (le sucré/salé, qu’est-ce que c’est bon !).

Rive sud, Le vignoble Domaine du Fleuve, Varenne

Pour une balade à vélo, c’est l’endroit. Puis pour récupérer les calories, c’est aussi l’endroit. J’affectionne particulièrement ce vignoble, encore ici à hauteur humaine. Ils y cultivent une vingtaine de cépages, dont une gamme dite internationale, le pinot noir, le chardonnay ou le merlot, mais aussi des cépages bien d’ici, entre autres le Vidal, le Lucy Kuhlman ou le St-Pépin. Les vins peuvent être achetés en importation privée, via l’agence Mon Caviste, ou encore en s’y rendant directement. Leur production annuelle est vendue entièrement chaque année, à prendre en compte si vous tombez en amour avec l’une de leurs cuvées.

Nid’Otruche, Saint-Eustache

Tant qu’à être dans le coin, j’adore y passer pour m’y prendre des filets d’autruche. Viande aussi rouge et tendre que le bœuf. La viande hachée et les saucisses d’autruche sont aussi succulentes. Si vous cherchez un endroit pour vos petits-enfants, on y organise des safaris, question de voir vivant ce qu’on mangera plus tard ! Avec un rouge espagnol, en tempranillo, Bordon Gran Reserva Rioja 2012, SAQ 11383561, ou encore le Marie-Victorin du Vignoble du Fleuve, Varenne, Québec, en importation privée par Mon Caviste ou directement au vignoble.

Ferme Grand Duc, Lachute

À peine à quelques minutes de ces autres adresses, je vous recommande cette ferme d’élevage de bisons. Ils y font l’abattage et la boucherie. Donc, pas de transport indu, c’est un produit bien d’ici, bien élevé et tellement exquis, plus maigre et plus ferreux que le bœuf. Avec un bon rouge relevé, comme un Italien de la région des Pouilles, le Notarpanaro Salento, code SAQ 709451, ou le Merlot du Vignoble du Fleuve, Varenne, Québec, en importation privée par Mon Caviste ou directement au vignoble.

Voilà pour le plaisir, il n’en tient qu’à vous de le cueillir. En vous souhaitant un merveilleux été, de découvertes et de randonnées, ici ou ailleurs.